par Philippe DEHAY – membre de Réseau Social Laïque (RSL) qui publie cet article – 13 novembre 2022 (7 ans après le Bataclan)
Depuis plusieurs années, militant pour la laïcité, je participe à de nombreux événements tels des manifestations, des rassemblements ou des réunions, ces dernières dans des lieux où le débat de qualité est de mise mais où on a souvent le sentiment d’être dans l’entre soi, entre gens dont on se demande pour certains sur quelle planète ils vivent.
En effet, force est de constater, qu’à l’exception de quelques trop rares réunions, si les propos concernant les formes que prennent les diverses atteintes à la laïcité sont justes, je n’entends quasiment rien sur les causes de la montée des intégrismes religieux et/ou politiques et notamment les causes sociales même si elles ne sont pas uniques.
Récemment encore, j’ai pu le constater avec amertume.
LE COMBAT POUR LA DEFENSE DE NOTRE LAICITE, ACQUISE CHEREMENT AU FIL DE NOTRE HISTOIRE, EST INCOMPLET SI NOUS N’ABORDONS PAS ET NE LUTTONS PAS CONTRE LES CAUSES DE LA MONTEE DES DIVERS INTEGRISMES QUI SE NOURRISSENT D’AILLEURS LES UNS LES AUTRES.
Ces causes sont multiples mais on ne peut passer sous silence certaines causes sociales et notamment l’exclusion sous diverses formes d’une partie de notre population qu’elle soit issue de l’immigration ou française depuis plusieurs générations.
Depuis 30 ans, on nous a fait croire à une mondialisation libérale heureuse où chacun serait gagnant. Aujourd’hui, on en constate quelques-unes de ses conséquences à commencer dans un pays comme le nôtre où les écarts de richesse se sont accrus mais surtout où la pauvreté et l’exclusion ont augmenté, « Paradoxe pour un pays parmi les plus riches du monde ».
Ces formes se traduisent de différentes façons. Un exemple parmi d’autres mais très représentatif du malaise actuel : la situation de villes ou parties de ville abandonnées ou semi-abandonnées par la République donnant l’image de ghettos et ce pour moultes raisons
– malgré le sérieux des personnels concernés
– comme des transports en commun fonctionnant souvent au « petit bonheur la chance » , des services publics en déshérence où nous sommes devenus des « clients » et non plus des usagers (les mots ont un sens), l’abandon de la police de proximité créée par Jean-Pierre Chevènement alors Ministre de l’Intérieur, un système d’éducation qui ne porte que le nom « d’éducation » où l’on est en droit de se demander si la vocation de l’école dans ces zones n’est pas la fabrication d’un nouveau « lumpen-prolétariat » , …. bref tout ce qui contribue à renforcer les exclusions sociales donc à favoriser le communautarisme notamment religieux ou/et l’extrémisme politique, et ce malgré la volonté initiale des personnes concernées.
De ces situations, il y en a une qui me tient particulièrement parce qu’elle concerne déjà mon activité professionnelle : la formation et l’enseignement, mais surtout l’avenir de notre pays car il appartiendra aux générations futures d’y faire face.
Dans un précédent article de RSL, j’expliquais en quoi notre système d’éducation avait contribué au renforcement des inégalités sociales confirmant en cela la France des Castes dénoncée en 1969 par l’ancien Premier Ministre de Georges Pompidou : Jacques Chaban-Delmas.
Arrivant bientôt en fin de carrière, je ne peux que le constater :
Les étudiants et élèves que j’ai eus ou pas et continue d’avoir, sont de divers types : des sérieux, des moins-sérieux, des « non concernés ! ». Mais j’ai observé au fil des années la démagogie avec laquelle l’institution scolaire et/ou professionnelle les baignait à commencer par le 1er obstacle : la non-maîtrise des fondamentaux tolérée puis les « fausses pédagogies prétendument progressistes », la « ségrégation positive » afin de mieux humilier les bénéficiaires, des programmes inadaptés, des stages non-rémunérés alors que les stagiaires participent à la production donc à la création de valeur ajoutée, une politique du « pas de vague » pour acheter la paix sociale … bref les avoir transformés en « consommateurs » au sens du plus vil mercantilisme. Et le plus inacceptable, cynisme de cette démagogie, est que cette ‘politique’ a été menée en ménageant les castes privilégiées dont appartiennent certains de ceux qui ont été (et sont encore) les fossoyeurs de l’école républicaine.
Expérience vécue : quand vous enseignez dans un collège dit « d’éducation prioritaire » où se concentrent ces populations défavorisées et que vous terminez l’année en ayant fait les 2/3 du programme (et encore) alors que transporté dans un cours pendant les vacances de Pâques dans « les beaux quartiers », vous révisez le programme de l’année en cours dans sa totalité parce qu’en mai, on commence déjà le programme de l’année suivante, pas besoin d’être grand clerc pour conclure que les jeunes ne jouent pas dans la même cour. Pour les premiers, une population défavorisée où notamment les têtes « basanées » dominent largement quant aux seconds, ces dernières sont minoritaires mais leurs parents travaillent dans les ambassades ! ! !
Si je pousse aujourd’hui un « coup de gueule », c’est d’abord parce que j’ai à cœur notre laïcité et que combattre les causes de ses atteintes est la défendre, ensuite pour des raisons politiques. Je n’ai jamais caché mes opinions étant de ceux qui militent pour une synthèse entre la pensée et l’action de Pierre Mendès-France et du Général de Gaulle. Je me refuse aux sirènes démagogiques du libéralisme béat ou du « grand soir » aux lendemains qui déchantent. Seule une troisième voie dans le respect des valeurs citoyennes d’une République démocratique, sociale et laïque (ces 3 termes sont liés) m’apparaît être celle de la sagesse pour construire une société humaniste à partir des réalités généralement tragiques que l’Histoire nous impose. Rappelons cette phrase de Voltaire : « l’Histoire de l’humanité est une succession d’atrocités » et ce sous quelles que latitude et/ou époque qu’on se trouve.
Le Général de Gaulle avait une certaine « idée de la France et de la République » (certes avec une part de chauvinisme « franchouillard »… mais rien de bien méchant) mais l’idée centrale était que l’on ne pouvait construire le pays que sur un rassemblement du peuple, aux origines même diverses mais autour de valeurs communes, résultat de notre Histoire mouvementée. Or on ne rassemble pas sans lutter contre les inégalités sociales et culturelles et encore moins en les accentuant, ce que nous observons depuis plus de 20 ans.
N’oublions pas les leçons de notre histoire et notamment que nos révolutions sont arrivées parce que les castes privilégiées refusaient les réformes nécessaires.
Il est temps aujourd’hui de se plonger dans une politique prenant à bras le corps les problèmes d’exclusion sociale en espérant que désormais lors des réunions défendant la Laïcité, le doigt sera posé sur ces problèmes.
Bien entendu, une politique de lutte contre ces exclusions ne règlera pas totalement la question des communautarismes et de la Laïcité mais elle permettra d’en atténuer les tensions.